« On n’a rien vu venir »

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On n’a rien vu venir

Anne-Gaëlle Balpe, Clémentine Beauvais, Sandrine Beau, Agnès Laroche, Séverine Vidal,

Fanny Robin et Annelise Heurtier 

Illustration d’Aurore Petit, préface de Stéphane Hessel

Ed Alice jeunesse

Le soir des résultats des élections présidentielle, Hector descend dans la rue ne supportant plus le comportement de ses parents. L’atmosphère est particulière, les rues sont inabituellement désertes, des personnes se dissimulent derrière les rideaux de leur fenêtre, Walid son ami le met en garde, d’autres fuient. Puis soudain un raz-de-marée humain le bouscule, le chahute, l’emporte avec lui. De nouveau seul dans la rue, il se fait réprimender par quatre gars costauds en costume noir. Il n’a rien à faire seul à une heure si tardive de la soirée. Le parti de la liberté est arrivé au pouvoir : on n’a rien vu venir. Changement radical, nouvelles lois, beaucoup d’interdits, discrimination, encouragement à la délation et la liste est longue.

Pendant 7 chapitres, écrits chacun par une des 7 auteures, le lecteur va suivre les réactions et les actions des familles du quartier suite à l’arrivée du parti de la liberté

La grand-mère, ancienne résistante, qui regarde son fils, sa femme et leurs enfants préparer leur départ à bord de son ancien voilier, se demandant si elle va devoir supporter Le parti de la liberté, mourir ou si la famille décidera de l’emmener avec elle.

Walid et sa soeur entre en résistance pour dénoncer la signalétique publique des nuanciers. Leurs parents ont décidé de rester et de ne pas céder ou plutôt de contourner les règles du système.

La famille du jeune garçon handicapé qui va tout faire pour fuir et le sauver de l’internement dans un centre spécialisé pour personnes différentes, alors que ce dernier ne comprend pas leur attitude bienveillante.

Et ainsi ce poursuit ce roman à 7 voix qui permet la réflexion et encourage les plus jeunes au discernement. Ce roman qui martèle par  les mots, les images et les exemples que la situation de cette fiction d’anticipation pourrait devenir un documentaire ou un témoignage. Un roman jeunesse engagé qui incite les jeunes à s’engager, à réagir, à ne pas se fondre dans la masse, à prendre le temps de la réflexion et de l’analyse personnelle, en bref : ne pas faire le mouton !

A lire, à faire lire, à offrir, à mettre dans vos rayonnages chères et chers collègues bibliothécaires (en plusieurs exemplaires même !!!) avant le joli mois de mai.

Thierry B.

Autre analyse :

Cette histoire commence le soir des élections. Les habitants, qui ont choisi les hommes politiques qui vont les représenter, descendent dans la rue pour fêter leur victoire. Leur victoire, croient-ils. Mais ils se trompent…

Ainsi commence la préface signée Stéphane Hessel et en refermant ce recueil, nous comprenons pourquoi c’est ce grand défenseur des Droits de l’Homme qui l’a rédigée.

Dans ce roman à sept voix, sept chapitres dus à autant d’auteures différentes donnent la parole à des enfants dans un moment particulier de l’histoire de leur pays.

Quand le premier de ces chapitres nous dépeint la ferveur populaire lors de la soirée qui voit le Parti de la Liberté remporter les élections, les suivants nous montrent comment le nouveau pouvoir en place instaure rapidement un régime totalitaire. Obligations et interdictions règlent désormais la vie de tous, certaines absurdes, comme cette loi fixant à 6 heures 33 exactement l’heure de réveil pour tous ou encore celle qui détermine les couleurs des vêtements. D’autres ont aboli tous loisirs festifs et prohibé toutes chansons, en dehors du répertoire déterminé par le Chef du Parti.

Mais la plupart des lois sont avant tout discriminatoires. Le jour de la rentrée, Marcus s’aperçoit que si l’uniforme désormais de rigueur pour tous les écoliers est vert, il ne s’agit pas d’un même vert pour tout le monde et ces subtiles variations de tons correspondent au degré de docilité des familles. Lorsque l’on apprend que les foyers repérés comme pouvant créer des problèmes sont mis sous surveillance vidéo, on voit ressurgir le spectre de Big Brother. Quand la mère de Walid rentre du Ministère des Origines nationales, c’est la catastrophe : elle n’a pas la bonne nuance de peau. Ce qui signifie, à très court terme, un « déménagement» de la famille. Et ces nuanciers sont maintenant affichés dans les commerces et dans la rue, incitant les braves gens à la dénonciation contre des points dans leur Carnet du Citoyen, décernés par le Ministère de la Droiture.

Si l’ensemble de ces nouvelles décrit une mécanique politique et sociale vraisemblable et cohérente, quelque unes d’entre elles, par leurs sujets et le traitement qui en est fait, sont particulièrement frappantes. Le grand soir d’Anne-Gaëlle Balpe, qui se déroule pendant l’élection et ouvre le recueil, nous fait partager la brutale prise de conscience d’Hector, fils de militants actifs et  convaincus du Parti. Car Hector est aussi le meilleur ami de Walid… Comme sur des roulettes, d’Agnès Laroche, nous fait suivre le destin de Simon, paralysé depuis un accident et que les nouvelles lois du Ministère de l’Hygiène physique et Mentale obligent à intégrer un Centre de Remédiation positive, comme tous les individus en situation de handicap. Et là, ce n’est plus à 1984 que l’on pense, mais bien aux fantômes de notre Histoire. Et puis il y a le récit de Quentin, dont Fanny Robin fait un témoignage bouleversant dans Samedi ou la vie de sauvage. Quentin, qui se voit arracher ses deux pères, condamnés à une rééducation morale sévère pour actes contre nature après avoir subi brimades, injures et violences. Fort heureusement, le recueil s’achève sur une nouvelle réconfortante, Une dernière chanson, dans laquelle Annelise Heurtier fait de la reconstitution clandestine d’une chorale l’acte de résistance ultime. On pense alors au recueil Désobéis de Christophe Léon (paru dernièrement dans la collection Nouvelles chez Thierry Magnier), où les actes de résistance citoyenne prennent des formes festives et impertinentes. Et l’on se dit que décidément, il y a quelque chose dans l’air du temps qui fait pousser de bien beaux textes.

Car c’est au bout du compte les gestes de cohésion et de solidarité esquissés dans ce recueil qui resteront les plus forts, comme autant de signes d’espoir en des jours meilleurs. Et pour reprendre la dernière phrase de l’épilogue …on marche ensemble. Je ne sais pas ce qui se passera demain, mais j’avance avec les autres. Ensemble, tous ensemble.

Marie H.

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