
Johnny
Martine Pouchain
Editions Sarbacane – Collection Mini-romans
Un long monologue ininterrompu.
Alice parle à Johnny. Elle répond à la lettre qu’il lui a envoyée avant de se suicider.
Elle tente d’expliquer et de comprendre, voudrait rejouer ce chapitre de sa vie, rattraper sa lâcheté, alléger le poids de sa culpabilité, se justifier. « C’était un des aspects de ton problème : à force de se taire, on ne peut récolter que l’incompréhension »
Expliquer et comprendre: comment on a pu en arriver là, comment les choses ont dégénéré, comment ils, et elle, sont devenus les bourreaux d’un garçon taciturne et mal fagoté appelé Johnny. « L’idéale victime, je ne peux pas mieux décrire. Et même si j’avais pris ta défense, ça n’aurait rien changé. J’aurais juste réussi à devenir une victime de seconde main quand tu aurais fait défection pour maladie ou autre. Mais je n’ai pas pris ta défense. J’avoue que ça ne m’a seulement pas effleuré de la prendre. J’avais déjà assez de mal avec moi, depuis toujours. »
Il avait le tort d’être différent, son isolement et sa résignation le désignaient comme parfait souffre-douleur, offrant au groupe un exutoire sans risques. En dévoilant ses sentiments pour Alice, il déchaîne l’hilarité et la fait basculer de l’indifférence à la cruauté.
Les faits décrits, l’engrenage des railleries et des brimades sont insupportables mais le plaidoyer d’Alice, entre autojustification et refus de responsabilité, l’est plus encore. Tout comme son froid constat des rapports de force au sein d’un groupe « C’est bien connu de toute façon que c’est toujours les plus grandes gueules qu’on écoute même si elles n’ont rien à dire. L’esbrouffe, ça force le respect. Peut-être pas à long terme, mais c’est toujours ça de pris, surtout que le long terme, tout le monde a l’air de s’en battre les cuisses jusqu’à plus ample informé. »
L’écriture est nerveuse, les phrases sont courtes, incisives, le langage rageur et imagé donne la sensation d’entendre la confession de la narratrice qui nous immerge dans le drame, sans nous laisser le temps de souffler et jusqu’à la nausée.
Ce petit texte de 60 pages s’adresse aux plus grands car, bien que ne comportant aucune scène explicitement choquante, il décrit tant de violence psychologique qu’il laisse après sa lecture un malaise durable. Mais il suscite également, sans jamais donner de leçon, de salutaires réflexions autour de la lâcheté face à un phénomène de groupe. Il est un des trois premiers de la toute nouvelle collection Mini-romans chez Sarbacane destinée aux 12-14 ans: petit format et petit prix mais, si on en juge d’après ce titre, une exigence très prometteuse.
Marie H.
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