Archives de Tag: racisme

« Les fragiles » de Cécile Roumiguière

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FragilesLes fragiles

Cécile Roumiguière

Editions Sarbacane, collection Exprim, 2016.

« Les fragiles » est le premier « Exprim » de Cécile Roumiguière. Une première réussie. L’auteure a eu l’idée de cette histoire lors d’une rencontre avec une classe. Un élève lui affirme clairement, « Mais moi, mon papa, il est raciste« . Le roman est construit chronologiquement sur le flashback du jour J, alternant des chapitres d’années antérieures. Cette construction peut surprendre et donne du rythme au récit.

C’est l’histoire de Drew, un garçon fragile, qui  vit avec le poids d’un père raciste, entouré d’une mère maltraitée, d’une grand-mère excentrique et de Sky, son amie. Drew est un garçon brillant et bon élève, il se déprécie constamment pour plaire à son père. Ce dernier veut un fils à son image, viril, brutal, manuel, bref à l’image d’une caricature. Hors Drew est fragile. Fragile et fort pour plaire à son père, pour surmonter les obstacles de ses aventures, les épreuves de sa vie.

Cécile Roumiguière glisse de la fragilité dans tous les personnages du roman. Personne n’échappe à sa fragilité, y compris Cédric, le père de Drew. Les fragiles, c’est aussi l’utilisation d’un vocabulaire « fragile » dans les descriptions des attitudes, les sentiments des personnages, les paroles qu’ils emploient.

Les fragiles, à lire brutalement ou avec délicatesse, certainement avec beaucoup d’attention.

Thierry B.

« Western girl » d’Anne Percin

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westerngirlWestern girl

Anne Percin

Editions du Rouergue – Collection DoAdo

Si le dernier roman d’Anne Parcin nous surprend, c’est par la toile de fond qu’elle a choisie. Car si l’on retrouve une jeune héroïne qui raconte ses mésaventures à son journal – « cher JDB »- avec l’humour et la verve qu’on lui connait depuis Comment (bien) rater ses vacances, le contexte est pour le moins dépaysant. Elise est en effet, depuis sa plus tendre enfance, fan de culture country: le cheval, bien sûr, mais aussi la musique, les chemises à carreaux, les bottes à franges, les westerns, les Buffalo Grill, le pop corn, bref, la totale. Et voilà que le destin, en l’occurrence  le licenciement de sa mère et la prime qui l’accompagne, lui permet de réaliser son rêve, découvrir le Middle West durant un stage de trois semaines dans un ranch. Mais elle ne part pas seule, 11 autres adolescents sont également inscrits et dès l’aéroport, Elise constate qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie. Ils sont tous fils de bourges et, accessoirement, têtes à claques. Heureusement, il y a Georgia, qui bavarde volontiers et à laquelle elle peut raconter sa vie durant les longues heures de vol. Mauvaise pioche! Georgia est en fait une sale petite garce qui va lui pourrir le séjour. ou du moins s’y employer. Car Elise, confrontée à une méchanceté qu’elle aurait été incapable d’imaginer, va se découvrir plus solide qu’il n’y parait. Face à un harcèlement qui finit par contaminer tout le groupe, elle va développer courage et intégrité pour rester fidèle à ses valeurs.

C’est tout en finesse et avec beaucoup de justesse qu’Anne Percin aborde des sujets aussi graves que le harcèlement, le racisme et le mépris des classes dominantes, dans un récit alerte à l’humour tonique et au ton résolument optimiste. La découverte du Middle West – dont certaines descriptions sont d’une grande qualité d’écriture – est agréablement dépaysante et cette incursion dans la culture country en compagnie d’une passionnée a le mérite de faire tomber bien des préjugés. Soit un bon moment de plaisir et un beau voyage.

Marie H.

 

« Elmer » de Gerry Alanguilan

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Elmer

Gerry Alanguilan

Editions Cà et là – Collection Longues Distances

Roman graphique en noir et blanc, Elmer est une fiction singulière et troublante. Les premières pages nous précipitent sans ménagement dans un monde qui bouleverse nos repères. Le narrateur fait partager en vision subjective son réveil difficile, un petit matin ordinaire ponctué par la consultation de ses mails et des infos, un bref phantasme sur les images de la nouvelle bombe sexuelle du cinéma, puis un entretien d’embauche qui se déroule particulièrement mal, jusqu’à ce qu’il soit enfin révélé à nos yeux et que le monde bascule dans une étrangeté dérangeante. Jake Gallo, chômeur de longue durée, déprimé et convaincu d’être victime de discrimination, est un poulet. Un poulet qui parle, pense et se comporte comme tous les humains qui l’entourent. Car à la suite d’un évènement inexplicable, les gallinacés ont brutalement accédé quelques années auparavant à la conscience. Nous découvrons alors les conséquences de ce bouleversement par bribes, échanges de réflexions et réactions diverses tissant la toile de fond sociale, tandis que suivons Jake dans un moment décisif de sa vie. La mort de son père, Elmer, l’amène en effet à revenir sur l’histoire de son espèce, passée en quelques années seulement du statut de produit d’élevage industriel à celui de citoyen à part entière. Elmer, témoin et acteur dès la première heure de cette fantastique révolution, a tenu toute sa vie un journal dans lequel il a consigné toutes les étapes du combat meurtrier qui a permis aux siens de conquérir des droits égaux à ceux des hommes. La lecture de ce témoignage amène progressivement Jake à considérer différemment son père et nuancer son regard sur le monde.

On a rarement exposé la mécanique du racisme de façon aussi remarquable. On pense souvent à Maus de Spiegelman, bien sûr, pour l’efficacité d’un noir et blanc très contrasté, sa narration imbriquant passé et présent ainsi que la transmission de père à fils d’évènements dramatiques ayant marqué l’histoire de l’humanité. Car si le principe de base est totalement irrationnel, les rouages de la peur, du rejet et de la violence que Gerry Alanguilan met en perspective sont identiques. La société qu’il nous dépeint est ancrée dans un monde terriblement ordinaire et la banalité du quotidien fait ressortir avec d’autant plus d’acuité la cruauté des comportements humains. Montagnes de carcasses de poulets abattus pour cause de grippe aviaire, chapelets de têtes tranchées accrochées en ceintures comme trophées et longues files de volailles suspendues par les pattes, l’œil affolé, attendant leur tour d’être égorgées, sont autant d’images qui, par le jeu d’une fiction qui donne la parole aux victimes, renvoient aux génocides et aux déportations de notre histoire. Le scénario est solidement construit mais Gerry Alanguilan parvient de plus, avec son trait fin et précis, à les doter d’expressions nuancées qui leur donnent une existence profondément humaine. En suscitant l’empathie pour une espèce animale, et parmi les moins considérées, l’auteur provoque un malaise salutaire et questionne durablement son lecteur. Quand vous refermerez ce livre, vous ne regarderez plus jamais un coq ou une poule de la même manière.

Marie H.