Archives de Tag: homophobie

« La ligne droite » de Hubert et Marie Caillou

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lignedroiteLa ligne droite

Scénario de Hubert

Illustrations de Marie Caillou

Editions Glénat – Collection 1000 feuilles

ISBN : 9782723486545

Hadrien est un garçon solitaire, terne pour le moins et ringard à coup sûr, avec ses chemises soigneusement boutonnées jusqu’au menton, sa raie bien droite et ses grosses lunettes d’intello. Fils unique couvé par une mère abusive et rigide, il est cloîtré dans un lycée religieux avec la lecture pour seule évasion. Pourtant, un garçon de son âge voit un jour au-delà de cette apparence. Jérémie est son exact inverse : sportif, populaire et volontiers brutal, il découvre néanmoins avec surprise le plaisir de discuter avec cet étrange garçon. Ainsi qu’une attirance dérangeante à laquelle il se laisse aller.

Ce pourrait être là le début d’une belle rencontre, l’apprentissage de la différence et du courage des ses sentiments, mais la violence des préjugés aura raison de cet amour naissant et brisera le plus faible des deux. Jérémie rentrera sur le droit chemin tandis qu’Hadrien, après une brève révolte, choisira une fuite définitive. Ce récit cruel et désenchanté est transfiguré par le trait élégant de Marie Caillou. Si l’objet livre est séduisant, un beau format à l’italienne qui met en valeur la composition d’une illustration de couverture particulièrement réussie, la séduction de son trait épuré est entièrement au service d’un récit implacable, pudique et bouleversant, le récit éternel d’un premier amour massacré par la bêtise ordinaire au nom de la normalité.

Marie H.

« A copier 100 fois » d’Antoine Dole

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copier100foisA copier 100 fois

Antoine Dole

Editions Sarbacane

Ne vous laissez pas prendre aux jolies couleurs acidulées de l’illustration de couverture. Ces pimpants crayons de couleur qui évoquent l’enfance et des rentrées de classe emplies de rires et de cris joyeux habillent en fait un texte fébrile et déchirant. Le long cri de souffrance d’un garçon différent. Il a 13 ans, n’a pas de nom, est l’échec de son père et le souffre-douleur de son collège. Parce qu’il ne sait pas se battre, n’a pas envie d’apprendre, ne veut pas exister de cette façon-là. Et sait pourtant que c’est ce qu’un père attend de son fils. Ce que son père attends de lui. Entre détresse et révolte, il voudrait pouvoir affirmer ce qu’il est et être aimé comme tel.

Le format court des petits Sarbacane convient particulièrement à l’écriture fulgurante d’Antoine Dole. Le temps présent pour une narration rapide et nerveuse, le récit d’un véritable chemin de croix où la douleur des coups et la peur qu’ils engendrent ne sont rien par rapport au regard du père, son refus, son mépris, sa déception et sa honte. Il dresse le portrait en creux d’un adolescent en perdition, un corps marqué de bleu et de plaies, d’un esprit qui bascule dans le trop plein du manque d’amour  et la tentation d’en finir avec la vie. Une cinquantaine de pages seulement qui se dévorent et disent tant de la détresse  et de la souffrance d’être rejeté qu’on lui  pardonnera sa chute, une chute qui, pour positive qu’elle soit, parait  si improbable qu’elle en devient un peu maladroite.

Antoine Dole en parle beaucoup mieux que moi, laissez-le vous convaincre. ICI ! Moi, j’ai juste été bouleversée.

Marie H.

Retrouvez également sur Lj83 : « Laisser brûler » et « K-Cendres« 

« Frangine » de Marion Brunet

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couv-frangineFranginecoup de coeur

Marion Brunet

Editions Sarbacane – Collection Exprim’

Une rentrée de plus, une rentrée comme les autres, en tous cas pour Joachim, terminale sur les rails d’une scolarité sans problèmes. Mais s’il en est le narrateur, cette histoire n’est pas la sienne et pour sa jeune sœur, le passage au lycée est plus que brutal. Pauline passe sans transition du pays des bisounours, comme elle qualifie sa vie de famille, à un univers sans pitié où la moindre faute peut être définitive. Car là où on détaille votre jean, sa coupe, sa marque, le prix qu’il a coûté et l’endroit où on l’a acheté, « … si t’as pas les codes, t’es dans la merde. ». Or, Joachim et Pauline vivent une situation familiale hors normes : pas de papa, deux mamans. Et là où Joachim a toujours su faire respecter une différence qu’il affirme sans provocation mais avec une tranquille assurance, Pauline se heurte, dès les premiers jours, à une homophobie de bon ton qui tourne très vite au harcèlement de groupe. Même ceux qui désapprouvent préfèrent se taire, de peur d’attirer sur eux cette violence débridée. En proie à des problèmes d’adultes, parents et référents éducatifs sont malgré toute leur bienveillance aveugles à la détresse de l’adolescente qui se retrouve bientôt en réel danger, physique aussi bien que psychologique. Et le grand frère, aussi protecteur qu’il veuille se montrer, s’aperçoit bien tard à quel point l’intégrité de sa sœur est menacée.

« Au lycée, pas le choix : tu te dessines toi-même un rôle taillé dans tes modèles et si tu y crois assez fort, les autres suivront. Si tu doutes un peu trop et si ça se voit, tu vas ramer longtemps avant de te faire une place au soleil » Et c’est bien de modèle qu’il s’agit dans ce roman. De modèles dominants et terroristes, ravageurs à un âge où l’on voudrait s’inventer unique et différent sans pourtant trop braver le regard des autres. Loin de tout opportunisme sociétal en prise avec une actualité brûlante, le récit est d’une grande justesse, dans la violence des mots et des gestes mais aussi dans la chaleur rassurante d’une famille aimante. Et s’il est remarquable, c’est bien dans la description du quotidien d’une famille ordinaire : deux mamans, un frère et une sœur, confrontés aux difficultés de la vie avec une belle cohésion et, surtout, beaucoup  beaucoup d’amour, un amour lumineux et réconfortant, fait de respect et de bienveillance. Il est également un hymne à la fraternité, comme rarement dans une fiction destinée à des adolescents. Et aussi au courage et à l’intégrité, car c’est Pauline et elle seule qui trouvera la bonne attitude à affirmer face à la bêtise et la cruauté.  A conseiller sans réserve, à l’heure où l’on entend tout et n’importe quoi, y compris l’impensable, au sujet des parents de même sexe.

Marie H.