Lj83 : Bonjour Fred
Fred Paronuzzi : Bonjour Thierry
Lj83 : Merci d’avoir accepté cette rencontre.
FP : C’est avec plaisir. Toujours agréable d’échanger avec vous sur la littérature.
Lj83 : Vous vivez en Savoie et vous êtes enseignant dans un lycée professionnel, comment est né votre désir, votre besoin d’écriture ?
FP : Ado, je voulais devenir musicien, guitariste de rock pour être précis (celui qui tient la rythmique, pas le soliste, trop frime à mon goût). J’ai tenté, je n’avais pas ce qu’il fallait… Les livres sont entrés alors dans ma vie. Boris Vian. Camus. Baudelaire. Rimbaud… le coup de foudre ! Je suis devenu un grand lecteur (je n’imagine pas un auteur qui ne serait pas, d’abord, un dévoreur de livres). Plus tard, en hypokhâgne, le prof de français (monsieur Carat, je crois) nous a fait étudier En attendant Godot de Beckett, L’homme qui rit de Victor Hugo, Les liaisons dangereuses de Laclos, Voyage au bout de la nuit de Céline… quatre énormes claques ! Des textes essentiels qui ont changé ma conception de la vie. A l’université, j’ai suivi un cursus de français et d’anglais, puis j’ai fait une maîtrise sur Kerouac. Il m’a donné le goût des voyages, m’a fait comprendre qu’il fallait vivre, en priorité, accumuler de l’expérience, du bonheur, de grandes baffes dans la gueule… avant d’espérer écrire quoi que ce soit d’intéressant. De retour en France, j’ai pris la plume, d’abord timidement, puis de plus en plus au fil des années. Mon premier roman est sorti et depuis, j’ai développé une dépendance à l’écriture et il m’est très difficile de passer une journée loin des textes. Ou alors il y a manque, frustration, mal-être…
Lj83 : Comment envoie-t-on son premier manuscrit ? Que se passe-t-il pour qu’un jour vous vous soyez dit : « J’envoie un manuscrit à une maison d’édition » ?
FP : J’ai écrit un premier roman à 25 ans, j’étais à l’armée, je détestais ce milieu, écrire m’a empêché de devenir fou (mais pas de faire du trou, régulièrement). Le manuscrit a été refusé par toutes les maisons d’édition, à juste titre, c’était une grosse daube. A la trentaine, j’ai fini un recueil de nouvelles. Il m’a valu des encouragements d’éditeurs. Puis j’ai fait « 10 ans ¾ », j ‘ai sélectionné 5 éditeurs dont j’aimais bien la ligne éditoriale, j’ai envoyé le texte un lundi, le vendredi le Dilettante le prenait… le bonheur absolu, la réalisation d’un rêve !
Lj83 : Comment arrivez vous à conjuguer vos deux vies professionnelles ?
FP : C’est compliqué. Le métier de prof est très prenant, fatigant. Je gère mon temps du mieux que je peux. J’ai éliminé tout superflu de ma vie (la télévision, par exemple). J’ai la chance de vivre avec quelqu’un qui respecte mon espace de création… c’est essentiel !
Lj83 : Nous vous avons découvert à travers « Un cargo pour Berlin » paru aux éd Thierry Magnier. C’ est votre 1er roman dit pour adolescents. Vous aviez écrit d’autres romans pour les adultes avant. Les adolescents, un public qui vous convient ?
FP : En vérité, je ne pense pas vraiment au lecteur, lorsque j’écris. J’éssaie avant tout de faire de bons livres. Mon premier roman, adulte, a beaucoup été lu dans les écoles et par les jeunes lecteurs. Inversement, mes livres jeunesse sont apprécié des adultes. Proposer mes textes à Thierry Magnier, c’était au départ un désir éditorial. J’apprécie leur ligne éditoriale, la qualité de leur travail, l’exigence de mon éditrice, Soazig Le Bail. Je me sens respecté et cela est essentiel… Jeunesse, vieillesse, ces étiquettes ont peu de sens (même si, vous le savez bien, la littérature jeunesse est victime d’un grand mépris – dû le plus souvent à une ignorance crasse)… Sinon, pour répondre plus précisément à votre question, j’adore les échanges avec le public ado. Il ne triche pas. Certaines rencontres sont inoubliables !
Lj83 : Aimeriez-vous écrire pour un autre public ? Je pense, nottament à l’écriture d’album, un genre tellement marqué dans la littérature de jeunesse.
FP : Oh oui ! Je meurs d’envie, dans le futur, d’écrire des albums pour les plus petits, de collaborer avec des illustrateurs. J’ai quelques projets dans ce sens et j’espère un jour concrétiser ce rêve-là.
Lj83 : Dans « Mon père est américain » toujours chez Thierry Magnier, nous percevons une évolution dans l’écriture. En est-il de même pour vous ?
FP : Je n’en ai pas vraiment conscience. Chaque livre est une nouvelle aventure, un nouveau territoire à explorer. Il faut trouver la « petite musique » unique et personnelle à chaque récit. C’est ce qu’il y a de plus difficile.
Lj83 : Vous écrivez dans un style court, dense et vous avez une manière toute particulière de mettre en valeur les silences. Vous avez un secret ?
FP : Non non, surtout pas de secret ou de recette ! J’ai une approche assez peu intellectuelle de l’écriture, je privilégie l’émotion. Même si, je ne vous le cache pas, je ré-écris énormément. Je fais parfois dix brouillons du même texte ! Je crois beaucoup en la force de la simplicité. Ne pas forcer le trait, surtout, c’est essentiel. Il peut y avoir énormément de force dans peu de mots. (Et merci d’avoir mentionné les silences, ils sont à la base de mon travail. Ne pas vouloir « remplir » à tout prix !)
Lj83 : Dans vos romans la place de thématiques fortes et marquées a beaucoup d’importance. L’humanité, la place de la femme, les migrations…Je pense, aussi, plus particulièrement à la peine de mort dans « « Mon père est américain ». La peine de mort, un sujet, peu ou jamais traité dans un roman contemporain pour adolescent. Pouvez-vous nous en dire plus ?
FP : Je suppose que c’est un sujet compliqué et délicat à traîter pour quelqu’un qui ne serait pas familier avec la société américaine. Pour ma part, j’enseigne l’anglais et j’ai par ailleurs vécu plusieurs années en Amérique du Nord. De même, j’ai longuement correspondu dans un passé proche avec des prisonniers du couloir de la mort. Pas dans le but d’écrire un livre, non, l’idée est née par la suite. J’essayais juste d’apporter un peu de légèreté à des hommes détenus dans des conditions indignes d’un pays dit civilisé. Ce fut pour moi une expérience très forte et très dure aussi, car la mort rodait au détour de chaque lettre…
Lj83 : Nous avons eu la chance et le plaisir de vous rencontrer, dans le Var, vous êtes complétement à l’aise dans les rencontres avec les adolescents. Ces rencontres les considérez-vous comme nécessaires dans le parcours d’un auteur ? Ou sont-elles pour vous qu’une obligation imposée par les règles du marché ?
FP : Ces rencontres sont essentielles. L’écriture est un exercice hautement solitaire et il est nécessaire de se « frotter » au lecteur si on vous en donne l’occasion (ce que vous avez fait et je vous en remercie). J’apprends beaucoup de ces échanges avec les ados. Sans l’énergie qu’ils m’insufflent, je serais incapable de les mettre en scène.
Lj83 : Merci Fred d’avoir répondu à nos questions, merci pour votre bonne humeur, votre enthousiasme et surtout votre talent. Dans l’attente impatiente d’une prochaine parution, je vous laisse le mot de la fin.
FP : Merci à vous ! Sans les bibliothécaires, les documentalistes, les profs et les « vrais » libraires, ceux qui lisent, jamais je ne pourais vivre ces moments inoubliables avec les ados !