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« L’horloge du temps perdu » de Anne Fakhouri

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horloge_du_temps_perduL’horloge du temps perdu

Anne Fakhouri

Editions Atalante – Collection Le Maedre

9782841726349

Changer le cours des évènements, réparer ses erreurs et se donner une nouvelle chance en remontant le temps, qui n’en a pas rêvé un jour ?

Alex, chef accessoiriste reconnu dans le milieu du cinéma, doit justement travailler sur un film fantastique dont c’est le sujet. Personnage solitaire et colérique, il se consacre totalement à son métier depuis son divorce et s’occupe peu de son fils, Théo, dont il déteste s’encombrer sur les tournages. Il accepte néanmoins de l’emmener sur celui-ci car il s’agit de l’adaptation du dernier roman de l’auteur culte de Théo, Stan Iala. Cet auteur a toujours refusé de se laisser photographier et cultive le mystère. Or, il devrait assister au tournage d’une scène capitale, dans laquelle apparaît la fameuse horloge qui permet de remonter le temps. Alex parait plus nerveux que d’habitude et Théo, inquiet, ne tarde pas à découvrir que son père a bien connu Stan Iala dans son enfance. Leur rencontre n’a rien d’un hasard et l’auteur poursuit un but obsessionnel : renvoyer Alex dans le passé pour réparer un acte lourd de conséquences. Car l’horloge possède réellement ce pouvoir mais lorsqu’il met en œuvre le processus, c’est Théo qui est accidentellement projeté trente en arrière. Prisonnier du corps de son père dans une vie dont il ignore tout, il doit remplir une mission précise et sauver la vie de quelqu’un, mais sans connaître son identité, tout en respectant les règles spécifiques aux voyages dans le temps, soit ne rien modifier du déroulement des évènements jusqu’à ce moment précis.

Sur un argument très proche du cultissime « Retour vers le futur », Anne Fakhouri construit une intrigue solide et tout à fait personnelle. L’intrusion involontaire de Théo dans l’adolescence de son père constitue un ressort palpitant et riche en questionnements. Il se trouve en effet contraint de reproduire un acte méprisable et se débat avec sa conscience, écartelé entre sa mission, son désir de retrouver sa propre vie et la hantise de provoquer plus grave encore ou même d’anéantir son existence. C’est avant l’image du père qui est en jeu et l’empathie que suscite l’efficacité de l’écriture permet de soulever de nombreuses questions au coeur de la construction adolescente Quel regard porte-t-on sur ses parents en grandissant ? Quel type de rapports désire-t-on instaurer avec eux? Comment déjouer les schémas de répétition dans les familles marquées par la violence, le deuil ou l’abandon ?

Il est regrettable que l’illustration de couverture, très enfantine, donne une fausse idée du contenu de ce roman, bien plus sérieux qu’il n’y parait. Le prétexte fantastique permet d’explorer des sujets aussi grave que la lâcheté, la maltraitance, la honte de ses parents ou les secrets de famille. Et célèbre heureusement, dans un dénouement positif, les vertus de l’amitié, du courage, et la fidélité à son âme d’enfant.

Marie H.

« Lune mauve » de Marilou Aznar

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lumauveLune mauve T.01: La disparue

Marilou Aznar

Editions Casterman

Séléné Sigismonde Savel d’Hauterive aurait très certainement préféré s’appeler autrement. Et si elle avait pu choisir sa vie, elle aurait opté pour une enfance normale dans laquelle sa mère l’aurait attendue au sortir de l’école pour beurrer ses tartines. Elle aurait alors eu une adolescence normale, avec téléphone portable, accès internet et vie sociale à l’avenant. Mais elle a, jusqu’à aujourd’hui et depuis la disparition de sa mère, vécu recluse au fin fond de la Bretagne avec son père, universitaire spécialiste d’un obscur poète  symboliste. Et elle doit maintenant, pour son bien, intégrer le lycée Darcourt, connu pour rassembler la fine élite parisienne. Pour le moins décalée dans l’établissement le plus snob de la capitale, Séléné s’y donne « autant de chances qu’une souris lâchée dans un enclos de chats affamés! ». Nous suivons donc ses efforts pour s’intégrer, dans un premier temps, puis tout simplement pour se faire oublier, ce qui se révèle particulièrement difficile. Car ce qui s’annonçait comme le récit assez superficiel d’une jeune fille cherchant à rejoindre la norme de ses contemporains bascule peu à peu dans le fantastique. Et Séléné semble provoquer des événements étranges.

Malgré les nombreux clichés auxquels n’échappe pas ce premier roman, il constitue une bonne surprise. Tout d’abord, il est plutôt bien écrit. Les références à une culture classique assez improbable – Gustave Moreau, Saint-Pol-Roux, Alexandre Dumas – émaillent le récit de façon convaincante et, sans paraître trop plaqués, donnent au contraire un relief bienvenu à cette adolescente hors-norme. L’autodérision propre à la chick litt fonctionne  assez bien pour compenser les références convenues à la culture ado et la jeunesse dorée parisianniste est au passage soigneusement égratignée. La dimension fantastique, quant à elle, est amenée habilement et nous découvrons en même temps que Séléné les indices de l’existence d’un monde parallèle qu’elle est destinée à intégrer. La fin de ce premier tome d’une trilogie annoncée a une tonalité romantique assez exacerbée et laisse son lecteur (qui sera plutôt une lectrice, d’ailleurs), pour autant qu’il adhère à ce type d’univers, dans l’attente de ce que sera ce nouveau monde. Nous, nous attendons de voir si le deuxième tome confirmera les qualités décelées dans le premier.

Marie H.

« Miss Peregrine et les enfants particuliers » de Ransom Riggs

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 missperegrineMiss Peregrine et les enfants particulierscoup de coeur

Ransom Riggs

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sidonie Van den Dries

Editions Bayard jeunesse

C’est d’abord un objet singulier, précieux et intrigant. Lourd et dense, le volume est agrémenté de pages de garde et de titre ornementées de motifs vieillots, ainsi que de nombreuses photos dont les sujets, tous des enfants, exhibent des particularités plus ou moins monstrueuses. Trucages ? Aberrations ? Sorcellerie ? Voilà tout l’objet de la quête du narrateur, Jacob. Car à la suite de la mort brutale et suspecte de son grand-père, ce jeune homme de 16 ans retrouve dans ses affaires une série de ces photos qui ont marqué l’imaginaire de son enfance. Des photos manifestement truquées, plutôt grossièrement d’ailleurs, sur lesquelles son aïeul brodait pour lui des histoires aussi merveilleuses qu’invraisemblables. Il s’agissait, selon lui, d’enfants doués de capacités surnaturelles qu’il avait rencontré à l’orphelinat dans lequel ses parents l’avaient envoyé pour échapper aux persécutions nazies. Jacob a depuis longtemps déjà relégué ces histoires à dormir debout au rayon des contes pour enfants mais à ces photos retrouvées s’ajoutent les propos énigmatiques du mourant, une figure cauchemardesque entrevue brièvement, qu’il préfère prendre pour une hallucination, et une vieille lettre qui sème le doute sur le passé du vieil homme. Pour se libérer de la grande dépression qui l’accable depuis ce deuil douloureux,  le jeune homme décide de faire une sorte de pèlerinage sur les lieux dont son grand-père lui a tant parlé : une île, perdue au large du Pays de Galles, et les ruines d’une grande maison bombardée pendant la guerre. Mais il est loin d’imaginer combien partir sur les traces de ces enfants particuliers va changer sa vie, alors « qu’il venait juste de se résigner à vivre une vie ordinaire »,  ainsi qu’il le confie en ouverture du récit.missperegrine1

Une fois l’objet soupesé, feuilleté et fatalement admiré, car il est réellement  et particulièrement beau, on se lance dans la lecture avec méfiance, le contenu aura du mal à être à la hauteur d’un si bel emballage. Et puis, bonheur ! Voilà un vrai grand roman qui vous emporte dès les premières lignes pour ne plus vous lâcher. L’intrigue, forte, singulière, constamment surprenante, possède un vrai souffle romanesque sans que le registre sensible lui soit jamais pour autant sacrifié. Elle est, de plus, portée par une écriture ciselée, exigeante et pourtant fluide. Un bonheur, je le répète ! Chaque personnage, la moindre figure secondaire, et chaque lieu, à commencer bien sûr par cette île désolée et la majestueuse demeure de Miss Peregrine, s’ancrent sans effort dans notre mémoire. Et si la réalité historique se mêle de pouvoirs surnaturels, boucle temporelle et créatures maléfiques, jamais roman, malgré ces composantes, ne se sera aussi peu laissé réduire par les règles du genre. L’argument fantastique, même s’il est mené de façon particulièrement efficace et que l’univers ainsi créé possède une existence aussi dense que la réalité parallèle, a finalement moins d’importance que la dimension humaine, remarquable dans cette histoire.

missperegrine2Si on peut sans hésiter le ranger dans la catégorie YA, c’est que le narrateur a seize ans et qu’il traverse, en dehors de ces aventures si particulières, tous les tourments propres à l’adolescence : incompréhension des parents, manque de confiance en lui, questionnements sur son devenir, regrets de l’enfance perdue et peur de l’avenir, premiers doutes amoureux… Mais ces problématiques s’enrichissent d’autres pistes de réflexion, plus largement humaines,  sur la monstruosité et la cruauté de la norme, le temps qui passe, l’amour filial, l’archéologie familiale et la fidélité aux modèles fabriqués dans l’enfance. La qualité d’écriture, elle, peut satisfaire le lecteur le plus exigeant. La fin ménage la possibilité d’une suite et j’ai la conviction que l’auteur saura renouveler notre émerveillement.

 Marie H.