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« Collection Hibouk » chez La Joie de lire

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La force du berger

Azouz Begag

Docteur Parking

Franz Hohler

Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

Les A.U.T.R.E.S.

Pedro Manas

Traduit de l’espagnol par Anne Calmels

Editions de La joie de lire – Collection Hibouk

Nouvelle collection de la Joie de lire, Hibouk propose une sélection de textes de qualité, habillés pour l’occasion de couvertures signées Albertine !!! De belles couvertures où son trait, reconnaissable entre tous, se détache sur de larges plages blanches pour notre plus grand bonheur. Forte aujourd’hui de déjà 10 titres, trois titres de cette collection, qui fait d’ores et déjà référence en matière de littérature jeunesse, ont plus particulièrement retenu notre attention.

Dans la force du berger, Azouz Begag met les lois de la physique à l’épreuve de la sagesse et du bon sens populaire. Lorsque le fils rentre de l’école, tout fier de son nouveau savoir, et lui explique que la Terre est ronde et qu’elle tourne sur elle-même, l’ancien berger et le croyant s’insurgent tous deux dans l’âme simple du père : encore une manipulation des Américains ! Et, bon sens à l’appui, il va s’appliquer à remettre les pieds de l’enfant sur une Terre bien plate. Avec des dialogues savoureux et absurdes, Azouz Begag nous enchante dans cette argumentation qui oppose deux mondes irréconciliables, la science et la foi.

Franz Hohler nous offre, avec Docteur Parking, une autre fable, intelligente et délicate, qui oppose les raisonnements de la science à la sagesse et l’écoute du cœur. A la suite d’un quiproquo cocasse, un docteur en lettres nouvellement installé se retrouve à soigner des malades, par la seule vertu de conseils emplis de bon sens et de bienveillance. Il s’attire ainsi les foudres des notables locaux, forts de leurs diplômes ou de leurs fonctions officielles. Et lorsque les évènements prennent un tour plus fantastique, il se retrouve confronté à un déchaînement de bêtise, de lâcheté et d’hypocrisie. Mais il saura y faire face avec calme et sagacité, donnant à tous une grande leçon d’humanité. En toute humilité. Admirable dans sa simplicité, ce texte est d’une belle qualité littéraire tout en restant abordable, à la manière d’un conte, par les plus jeunes lecteurs.

C’est le thème de la différence qu’explore Pedro Manas dans Les A.U.T.R.E.S. Et il le fait avec une grande efficacité, tout en finesse, dans un récit alerte et empli d’humour. Une simple visite de routine chez l’ophtalmo et Franz se retrouve brutalement stigmatisé par un cache sur l’oeil, devenant la cible de moqueries cruelles et se voyant écarté du cercle des enfants « normaux » dont il faisait jusqu’alors partie sans même en avoir conscience. Après quelques jours pour le moins difficiles, il intègrera un autre cercle, beaucoup plus fermé celui-là, les cercle secret des Anonymes Unis Très Rarissimes, Exceptionnels et Solitaires. Unis pour prendre une revanche vengeresse ou faire valoir, au-delà de leurs particularités, des qualités communes de tolérance et de solidarité ? La réflexion est amenée sans lourdeur aucune, au fil de situations comiques ponctuées de nombreux dialogues pétillants, dans lesquels les enfants se retrouveront sans efforts. Soit une excellente manière d’amener à s’interroger sur la norme et les phénomènes de discrimination que provoquent les situations d’handicap, mais aussi les petites différences, souvent vécues plus douloureusement qu’on ne pourrait l’imaginer. Normal ? Pas normal ? Quel enfant ne s’est jamais posé cette question ?

Marie H.

« Mongol » de Karin Serres

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Mongol

Karin Serres

L’école des Loisirs – Théâtre

Prix du Théâtre en Page 2012

Ludo est un enfant différent. Sa lenteur le désigne comme victime de toutes sortes de moqueries blessantes, sombre idiot, pauvre andouille, bécasson, crétin, débile, simplet… Et Fabrice, caïd de la cour de récréation, en a fait son souffre-douleur personnel. Jusqu’au jour où une nouvelle insulte fuse : mongol ! Le dictionnaire lui ouvre alors un monde inconnu et fascinant. Pour explorer la Mongolie, il va jusqu’à se lancer dans des recherche à la bibliothèque et commence à s’imprégner de cette culture, ce qui ne va pas faciliter ses relations avec son entourage. Il décide en effet de se raser la tête, ne plus se nourrir que de laitage et de viande, prendre des cours d’équitation, récite par cœur de longues listes de mots aux étranges consonances et se mets à répondre insultes par des Verge d’âne! ou Outre à excrément! qui laisse ses agresseurs sans voix. De victime, il devient héros à ses propres yeux, Gengis Khan pour le moins. Et s’il paraît plus bizarre que jamais aux yeux des autres, il est également beaucoup plus heureux, rempli d’une euphorie et d’une curiosité qu’il ressent pour la première fois. La construction imaginaire d’un Ludo ivre d’espace et de liberté sera-elle assez solide pour résister aux contraintes normatives de son environnement ?

Mongol a d’abord fait l’objet d’un roman (Prix du roman européen 2004), publié à L’école des loisirs dans la collection Neuf. Karin Serres l’a entièrement réécrit pour le théâtre à la demande de Pascale Daniel-Lacombe.

Le passage à une continuité dialoguée donne beaucoup de vivacité au récit et un poids accru à la signification des mots. Tandis que son entourage, même le plus aimant, l’affuble systématiquement de qualificatifs dévalorisants dans la plus coupable inconscience des ravages qu’occasionne ce travail de sape pernicieux,  Ludo édifie patiemment un rempart à partir des mots de cette langue étrangère qu’il répète comme un mantra. La lutte solitaire de la culture et l’imagination contre les certitudes majoritaires, faites d’ignorance et d’intolérance, et la bêtise aveugle, mais bavarde.

Concernant la culture mongole, ce sera l’occasion de faire découvrir la vie quotidienne des enfants de la steppe dans les deux films admirables de la jeune réalisatrice mongole Byambasuren Davaa :  » Le chien jaune de Mongolie » et  » L’histoire du chameau qui pleure » ainsi que dans le très poétique « Mongolian ping-pong » du réalisateur Ning Hao. Une immersion dans une culture radicalement différente, des images somptueuses, un regard intelligent et généreux, des films rares.

Marie H.

A propos de l’adaptation et la mise en scène de la pièce, écouter l’entretien du 05/11/2011  sur France Culture

 

« Mon frère, ma princesse » de Catherine Zambon

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Mon frère, ma princesse

Catherine Zambon

L’école des loisirs – Collection Théâtre

J’suis pas un garçon ! J’suis pas un garçon ! J’suis un dragon ! affirme-t-il en criant.  En fait, le vrai problème d’Aylan, 5 ans, n’est pas tant de ne pas être un dragon que d’être un garçon. Il aime jouer avec les poupées de sa sœur, lui pique sa robe de fée et rêve de devenir un jour maman. Ou princesse. Sa soeur Nina a beau lui expliquer à quel point c’est nul, être princesse, attendre une éternité qu’un type vienne vous donner un baiser et se retrouver pour une autre éternité coincée entre lessives et marmites, entourée d’une marmaille hurlante en s’affamant pour rester mince, Aylan n’en démord pas : il n’aime ni le toboggan, ni le foot, ni la bagarre, ni le vélo, et il refuse de s’habiller en garçon ! Tout ça ne serait pas bien grave mais les goûts qu’il affirme dérangent. Il multiplie les bizarreries, embarrasse ses parents, est l’objet de moqueries plus ou moins blessantes et provoque même des réactions violentes chez certains garçons. Et il souffre : « Je mourirai si je peux pas porter ta robe de fée, Nina. Et mes cheveux, je mourirai aussi si on me les coupe ». Entre une mère inquiète et conformiste, un père plus compréhensif peut-être, mais absorbé par ses recherches, seule Nina voit la détresse de son petit frère. Alors, quand les brimades virent au harcèlement, Nina va devenir « comme un orage qui brûle « … Mais est-elle bien en mesure d’endiguer ce déferlement d’intolérance et de bêtise ?

Par des dialogues vifs, des mots quelquefois crus, mais aussi des images extrêmement poétiques, Catherine Zambon sait camper des personnages justes et sensibles. Nécessairement emblématiques, puisque destinés à déclencher une réflexion sur un sujet précis, ils restent nuancés, même lorsqu’ils sont construits à charge, comme celui de Ben, le garçon qui tape, qui tape et qui tape parce que  » Je suis un garçon, c’est à moi de faire la loi. Normal. Alors, je tape « . Sa revendication d’une identité masculine exacerbée révèle vite une souffrance au moins égale à celle d’Alyan et il finira par se sentir « jaune comme du pipi de chat «  en prenant conscience de la cruauté de son comportement.

Le dénouement nous réserve une jolie surprise et l’histoire d’Aylan et de Nina s’achève de façon positive. Leur entourage sait trouver l’intelligence et le courage de résoudre ponctuellement la crise. Certains retiendront la leçon et se seront ouverts à plus de compréhension et de générosité, d’autres oublieront fatalement. Mais cette courte pièce traite de façon intelligente et percutante un problème bien réel, au cœur de la construction identitaire des enfants dès le plus jeune âge. Abordable dès le cours moyen, elle est indéniablement l’outil idéal pour parler des stéréotypes sexistes, de l’intolérance et de l’exclusion. C’est également l’occasion de faire le lien avec l’excellente nouvelle de Christophe Léon: « Le refus« , dans le recueil Désobéis ! qui traite un sujet analogue à hauteur d’adolescents mais peut parfaitement être abordé par des enfants plus jeunes.

Marie H.