Jiburo, le chemin de la maison
Film coréen de Lee Jung-hyang, scénario et réalisation
Réalisé en 2002, 87 mn
Jiburo a 7 ans et comme tous les enfants de son âge, il aime les pizzas, les hamburgers, les super héros et les jeux vidéo. Or sa mère, qui l’élève seule, doit se séparer de lui le temps de trouver un nouvel emploi. Elle va donc le confier pour les vacances à sa vieille mère, au fin fond de la Corée rurale.
Pauvre petit citadin perdu loin de Séoul, isolé en pleine campagne, à des heures d’autobus de la moindre agglomération où trouver nourriture civilisée et piles de rechange pour sa console, privé du plus élémentaire confort, toilettes, eau courante, électricité… Et comme si l’environnement ne suffisait pas à son malheur, le voilà livré à une paysanne si vieille, si sale, si lente, si courbée qu’elle en parait cassée, et muette de surcroît ! Jiburo se braque, se renferme, se montre injuste et capricieux, devient odieux et cruel.
Le mutisme de la vieille femme donne un rythme particulier à l’histoire, la communication étant d’autant plus difficile que l’enfant, loin d’essayer de décrypter ce langage fait de signes qui lui sont personnels, renvoie l’infirme à son monde pour mieux se murer dans le sien. Il parle pour deux et lui attribue le rôle d’une idiote incapable de le comprendre comme de lui être utile. Puis, quand elle aura fait preuve de son utilité domestique, il la cantonne à celui d’une servante tout juste bonne à être rabrouée au moindre manquement. De même, l’illettrisme de cette grand-mère renforce le sentiment de supériorité que l’enfant a besoin d’éprouver pour se sentir moins abandonné. Car c’est la colère, mais aussi le désarroi qui conduisent l’enfant à une cruauté parfois insoutenable. Accroché à ses repères, il est incapable d’apprécier les attentions que lui prodigue cette femme dont il a honte, il méprise sa générosité, ignore ses sacrifices, consent à peine à accepter ce qui lui fait plaisir. Il faudra à cette très vieille femme des trésors d’amour, de patience et d’obstination, pour que l’enfant consente à la regarder, non plus comme une attardée mais comme un être humain, puis à la considérer enfin comme « sa » grand-mère.
La réalisation est irréprochable, chaque plan est d’une beauté qui se remarque à peine tant elle parait évidente, la nature est filmée avec amour, tout comme le sont les visages, les mains et les pieds de ces étonnants comédiens. Sans expérience, Yoo Seung-ho en raison de son jeune âge, et Kim Eul-boon qui n’avait quant à elle, malgré son grand âge, pas même vu un film de sa vie, sont justes et bouleversants de bout en bout. Le scénario est non seulement sensible et intelligent mais aussi courageux : jamais il ne cède à l’émotion facile ou au rebondissement paresseux. Il donne le temps au temps et laisse s’imposer lentement le regard juste et généreux d’une femme de cœur et d’une grande cinéaste.
Un film magnifique, totalement abouti, dépaysant mais universel, bouleversant et indispensable. Dédié à toutes les grands-mères par sa réalisatrice, il est à voir par tous les enfants dès l’âge de son personnage principal.
Née en 1964, Lee Jung-hyang a suivi des études supérieures de littérature française à l’université de Sogang jusqu’en 1987 avant d’obtenir le diplôme de la Korean Film Academy en 1988.
Jiburo est son deuxième long métrage. Il a obtenu, entre autres récompenses, le Prix spécial du Jury du Festival de San Sebastian et le Prix du Meilleur Film et du Meilleur scénario au Golden Bell (Korean Academy Awards)
Marie H.