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« Les univers de Stefan Wul » une nouvelle collection chez Ankama Editions

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universstefanwulLes univers de Stefan Wul

une nouvelle collection chez Ankama Editions

Ankama a décidé de mettre à l’honneur l’Age d’or de la science-fiction française en la personne de Stefan Wul, dans une collection de grands et beaux albums au look rétro. 4 adaptations en cours, de grands noms de la bande dessinée et, nous le leur souhaitons, un grand et beau succès.

niourkNiourk: 01 L’enfant noir

Scénario, dessin et couleurs d’Olivier Vatine

Une tribu primitive qui survit difficilement sur une terre desséchée, un enfant noir isolé à sa marge, frappé de malédiction, un vieux sorcier qui disparaît dans la montagne des Dieux…

C’est Niourk, le roman phare de Stefan Wul. Son écriture est si visuelle que chacun a pu se fabriquer ses propres images et tous les amateurs de science-fiction attendaient cet album avec autant de craintes que d’impatience. Autant le dire tout de suite, le pari est largement gagné: une mise en page claire, nette et soignée, un trait personnel et expressif, de beaux plans larges qui vous emportent dans ces paysages désolés, une belle qualité d’atmosphère, aussi, grâce à un excellent travail sur la couleur. Et comme Olivier Vatine en est seul responsable, cela fait de lui un auteur complet et accompli.

Une fois toutes ces qualités reconnues, quelques réserves toutefois: la quatrième de couverture dévoile très grossièrement une grande partie l’intrigue et je regrette infiniment le choix plus que discutable d’un prologue (destiné à en faciliter encore la compréhension?) plaçant ouvertement la fiction dans un avenir post-catastrophe. Une des grandes forces du roman de Wul résidait dans la révélation progressive de cette réalité, à travers les yeux d’un enfant sauvage, ignorant tout du passé de l’humanité. Le récit perd là en finesse et se prive d’un effet de surprise qui servait admirablement le propos, soit une dénonciation des dangers de l’énergie nucléaire.

Malgré cette restriction (qu’il faut me pardonner, Niourk est l’un des romans les plus marquants de mon adolescence), cette adaptation est une vraie réussite dont on attend avec impatience la deuxième partie.

omsOms en série: 01 Terr, sauvage

Scénario de Jean-David Morvan

Dessin et couleur de Mike Hawthorne

Terr est l’abréviation de Terrible, nom que la jeune Tiwa a donné au petit animal de compagnie que lui a offert son père. Les Oms sont les animaux préférés des Draags et Tiwa s’occupe bien du sien. Mais Terr manifeste des aptitudes insoupçonnées, apprenant secrètement à parler et s’appropriant le savoir draag. En découvrant l’histoire et la géographie du monde qui l’entoure, il apprend que sa race vient d’une autre planète et qu’elle y était autrefois beaucoup plus puissante. Quand les parents de Tiwa décèlent ses surprenantes facultés d’apprentissage, Terr leur échappe. Sa fuite lui permet de rencontrer des Oms libres qu’il va pousser à la guerre contre les Draags.

Autre roman mythique de Stefan Wul, Oms en série avait fait l’objet d’une remarquable adaptation en dessin animé, La planète sauvage, signée Laloux-Topor et devenue depuis un classique du genre.

Le dessin de Mike Hawthorne, avec ses ses décors psychédéliques et ses couleurs acidulées, apporte ici une tonalité très seventies. Un découpage serré et dense privilégie manifestement l’action et on se laisse volontiers emporter dans une histoire qui, néanmoins, manque un peu d’émotion.

Marie H.

« Carbon Diaries 2015 » de Saci Lloyd

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carbonCarbon Diaries 2015 : le journal de Laura Brown

Saci Lloyd

Traduit de l’anglais (Grande Bretagne) par Sylvie Denis

Editions Pocket jeunesse

La qualification d’aventures tragi-comiques, avancée en quatrième de couverture, est une juste définition du registre. La forme, un journal intime tenu sur un an, et le ton adopté, léger et caustique, rappellent le meilleur du genre depuis Gloria Nicolson. Mais la fiction aborde des sujets plus graves que des parents à coté de la plaque, une sœur odieuse ou d’insupportables incertitudes sentimentales. Car le quotidien de Laura va se dérégler en profondeur et de façon brutale. Si le titre, Carbon diaries, peut sembler mystérieux, un article de journal, officiel celui-ci , nous éclaire tout de suite : « 08/01/2015 – Le Royaume-Uni va commencer à réduire de 60% ses émissions de carbone… Carte de rationnement obligatoire pour tous les citoyens, limitée à 200 points par mois… » 

Pollution et pénurie des ressources énergétiques obligent, tout le pays entre en période test. Ce qui s’annonçait difficile devient une véritable catastrophe quand le dérèglement climatique se traduit par une vague de froid exceptionnelle, suivie par une période de chaleur plus meurtrière encore. Bientôt, en toile de fond du journal de Laura, nous verrons des centaines de milliers de personnes devenir brutalement sans-abri, une partie de l’Europe livrée à de gigantesques incendies que personne ne peut plus contenir, les inondations succéder aux sécheresses, les personnes âgées ou fragiles mourir par milliers. Pendant ces évènements, Laura, elle, se préoccupe de la survie de son groupe electropunk et de son coût exorbitant en points carbone. Ainsi que de mettre en place avec son voisin Kevin un groupe de « Carbon Dating », les règles de drague se trouvant totalement bouleversées en ces temps de restriction. Et tandis que son père déboussolé se reconvertit en jardinier urbain avec un louable optimisme (c’est un moindre mal, d’autres virent aux fanatiques religieux homophobes), Laura essaye juste de vivre sa vie d’adolescente.

C’est aussi drôle que terrible, le suspense est souvent haletant et si Laura nous emporte sans effort dans les rebondissements de sa vie familiale et sentimentale, les sujets de réflexion générés par l’anticipation ne manquent pas. Le fond et la forme s’épousent parfaitement et on en redemande, ce qui tombe bien puisque Carbone Diaries 2017 est annoncé pour bientôt.

Marie H.

« On n’a rien vu venir »

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On n’a rien vu venir

Anne-Gaëlle Balpe, Clémentine Beauvais, Sandrine Beau, Agnès Laroche, Séverine Vidal,

Fanny Robin et Annelise Heurtier 

Illustration d’Aurore Petit, préface de Stéphane Hessel

Ed Alice jeunesse

Le soir des résultats des élections présidentielle, Hector descend dans la rue ne supportant plus le comportement de ses parents. L’atmosphère est particulière, les rues sont inabituellement désertes, des personnes se dissimulent derrière les rideaux de leur fenêtre, Walid son ami le met en garde, d’autres fuient. Puis soudain un raz-de-marée humain le bouscule, le chahute, l’emporte avec lui. De nouveau seul dans la rue, il se fait réprimender par quatre gars costauds en costume noir. Il n’a rien à faire seul à une heure si tardive de la soirée. Le parti de la liberté est arrivé au pouvoir : on n’a rien vu venir. Changement radical, nouvelles lois, beaucoup d’interdits, discrimination, encouragement à la délation et la liste est longue.

Pendant 7 chapitres, écrits chacun par une des 7 auteures, le lecteur va suivre les réactions et les actions des familles du quartier suite à l’arrivée du parti de la liberté

La grand-mère, ancienne résistante, qui regarde son fils, sa femme et leurs enfants préparer leur départ à bord de son ancien voilier, se demandant si elle va devoir supporter Le parti de la liberté, mourir ou si la famille décidera de l’emmener avec elle.

Walid et sa soeur entre en résistance pour dénoncer la signalétique publique des nuanciers. Leurs parents ont décidé de rester et de ne pas céder ou plutôt de contourner les règles du système.

La famille du jeune garçon handicapé qui va tout faire pour fuir et le sauver de l’internement dans un centre spécialisé pour personnes différentes, alors que ce dernier ne comprend pas leur attitude bienveillante.

Et ainsi ce poursuit ce roman à 7 voix qui permet la réflexion et encourage les plus jeunes au discernement. Ce roman qui martèle par  les mots, les images et les exemples que la situation de cette fiction d’anticipation pourrait devenir un documentaire ou un témoignage. Un roman jeunesse engagé qui incite les jeunes à s’engager, à réagir, à ne pas se fondre dans la masse, à prendre le temps de la réflexion et de l’analyse personnelle, en bref : ne pas faire le mouton !

A lire, à faire lire, à offrir, à mettre dans vos rayonnages chères et chers collègues bibliothécaires (en plusieurs exemplaires même !!!) avant le joli mois de mai.

Thierry B.

Autre analyse :

Cette histoire commence le soir des élections. Les habitants, qui ont choisi les hommes politiques qui vont les représenter, descendent dans la rue pour fêter leur victoire. Leur victoire, croient-ils. Mais ils se trompent…

Ainsi commence la préface signée Stéphane Hessel et en refermant ce recueil, nous comprenons pourquoi c’est ce grand défenseur des Droits de l’Homme qui l’a rédigée.

Dans ce roman à sept voix, sept chapitres dus à autant d’auteures différentes donnent la parole à des enfants dans un moment particulier de l’histoire de leur pays.

Quand le premier de ces chapitres nous dépeint la ferveur populaire lors de la soirée qui voit le Parti de la Liberté remporter les élections, les suivants nous montrent comment le nouveau pouvoir en place instaure rapidement un régime totalitaire. Obligations et interdictions règlent désormais la vie de tous, certaines absurdes, comme cette loi fixant à 6 heures 33 exactement l’heure de réveil pour tous ou encore celle qui détermine les couleurs des vêtements. D’autres ont aboli tous loisirs festifs et prohibé toutes chansons, en dehors du répertoire déterminé par le Chef du Parti.

Mais la plupart des lois sont avant tout discriminatoires. Le jour de la rentrée, Marcus s’aperçoit que si l’uniforme désormais de rigueur pour tous les écoliers est vert, il ne s’agit pas d’un même vert pour tout le monde et ces subtiles variations de tons correspondent au degré de docilité des familles. Lorsque l’on apprend que les foyers repérés comme pouvant créer des problèmes sont mis sous surveillance vidéo, on voit ressurgir le spectre de Big Brother. Quand la mère de Walid rentre du Ministère des Origines nationales, c’est la catastrophe : elle n’a pas la bonne nuance de peau. Ce qui signifie, à très court terme, un « déménagement» de la famille. Et ces nuanciers sont maintenant affichés dans les commerces et dans la rue, incitant les braves gens à la dénonciation contre des points dans leur Carnet du Citoyen, décernés par le Ministère de la Droiture.

Si l’ensemble de ces nouvelles décrit une mécanique politique et sociale vraisemblable et cohérente, quelque unes d’entre elles, par leurs sujets et le traitement qui en est fait, sont particulièrement frappantes. Le grand soir d’Anne-Gaëlle Balpe, qui se déroule pendant l’élection et ouvre le recueil, nous fait partager la brutale prise de conscience d’Hector, fils de militants actifs et  convaincus du Parti. Car Hector est aussi le meilleur ami de Walid… Comme sur des roulettes, d’Agnès Laroche, nous fait suivre le destin de Simon, paralysé depuis un accident et que les nouvelles lois du Ministère de l’Hygiène physique et Mentale obligent à intégrer un Centre de Remédiation positive, comme tous les individus en situation de handicap. Et là, ce n’est plus à 1984 que l’on pense, mais bien aux fantômes de notre Histoire. Et puis il y a le récit de Quentin, dont Fanny Robin fait un témoignage bouleversant dans Samedi ou la vie de sauvage. Quentin, qui se voit arracher ses deux pères, condamnés à une rééducation morale sévère pour actes contre nature après avoir subi brimades, injures et violences. Fort heureusement, le recueil s’achève sur une nouvelle réconfortante, Une dernière chanson, dans laquelle Annelise Heurtier fait de la reconstitution clandestine d’une chorale l’acte de résistance ultime. On pense alors au recueil Désobéis de Christophe Léon (paru dernièrement dans la collection Nouvelles chez Thierry Magnier), où les actes de résistance citoyenne prennent des formes festives et impertinentes. Et l’on se dit que décidément, il y a quelque chose dans l’air du temps qui fait pousser de bien beaux textes.

Car c’est au bout du compte les gestes de cohésion et de solidarité esquissés dans ce recueil qui resteront les plus forts, comme autant de signes d’espoir en des jours meilleurs. Et pour reprendre la dernière phrase de l’épilogue …on marche ensemble. Je ne sais pas ce qui se passera demain, mais j’avance avec les autres. Ensemble, tous ensemble.

Marie H.