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La rubrique interview de Lj83.

« J’ai rendez-vous avec… Baptistine Mesange »

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Lj83 : Bonjour Baptistine Mesangebaptistinemesange

Baptistine Mésange : Bonjour Thierry !

Lj83 : Merci d’avoir accepté cette rencontre.

BM : C’est avec joie…

Lj83 : Tu vis dans le Var, comment est née ta vocation ?

BM : Quand j’étais petite, j’inventais des histoires et je fabriquais mes livres avec du carton, de la ficelle et du papier. Ma maman les a tous gardés dans une boîte. Mais je ne répondais jamais « écrivain » à la question « qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande? » Je n’y pensais pas comme ça… Je fabriquais des livres parce que j’aimais par dessus tout les histoires, écrire et dessiner. Et puis un jour, j’ai voulu qu’elles existent pour de vrai. Que d’autres que moi tournent les pages de mes livres.

Lj83 : Tu es auteure et illustratrice, comment concilies-tu les deux activités ?

BM : Aujourd’hui, je ne les imagine pas l’une sans l’autre. Après tout, c’est ce que je faisais quand j’étais petite ! Alors, faire les deux est tout simplement un retour à l’enfance que j’apprécie vraiment… Ecrire et dessiner sur du papier, puis créer un livre. Un vrai.

Illustrer mes écrits m’apporte beaucoup… Celà-dit, je ne veux pas m’enfermer seule dans ce que je fais. Je veux aussi partager cette passion avec les autres. J’aime apporter mon univers aux textes que l’on me demande d’illustrer… Et quel magnifique moment que celui où je découvre les illustrations réalisées sur une de mes histoires! Ce que je recherche avant tout dans un binôme avec un illustrateur, c’est qu’il me fasse découvrir avec ses dessins cette part de l’histoire que je ne connais pas… Et c’est aussi ce que je veux faire ressentir à l’auteur qui me confie son texte. J’aime l’objet livre, particulièrement l’album, pour cette belle complicité entre le texte et les images, entre l’auteur et l’illustrateur, ou avec soi-même.

Lj83 : Pourrais-tu nous dire quelques mots de ton parcours d’artiste ?

BM : Je ne sais pas du tout si c’est un parcours d’artiste… Mais après des études en Lettres et Sciences humaines et une licence de Lettres modernes, j’ai d’abord voulu tenter les concours dans l’enseignement, puis j’ai arrêté…

Alors, j’ai commencé à écrire avec l’idée qu’un jour, j’enverrai mes histoires à des maisons d’édition. Car c’est finalement ce que j’aimais faire depuis toujours… Mon premier manuscrit est devenu mon premier livre, en 2011. Du côté de l’illustration, je n’ai fait aucune école. Il y a deux ans, j’ai commencé à dessiner « pour de vrai » parce que je voulais illustrer mes histoires et tout ce que j’avais en tête. Je voulais absolument faire de la peinture…! mais c’est avec les crayons et les collages de petits papiers que j’ai finalement trouvé mon style. C’est comme ça que mon univers s’est construit autour de moi… Puis, des auteurs ont commencé à me confier leurs textes, et j’ai même eu des commandes de dessins originaux. En ce moment, mes dessins sont exposés dans une galerie… (nlrd : La fiancée du pirate, rue Lamalgue à Toulon.) Jamais je n’aurais imaginé tout cela il y a deux ans. En fait, je crois que j’en rêvais secrètement… Aujourd’hui, je n’espère qu’une seule chose, c’est de toujours aimer ce que je fais…

dessin2BMLj83 : Parle-nous un peu des albums déjà parus ? Quel choix d’édition fais-tu ?

BM : D’abord, je ne fais pas des livres pour faire des livres… Je ne suis pas dans la surproduction… Parce que je trouve important que chaque livre soit un morceau de soi. Alors, pour répondre à ta question… je choisis de parler de trois de mes livres… parce qu’ils me ressemblent, ils sont ce que je veux montrer de mon univers. Je me souviens encore du moment où ils sont nés, dans ma tête et sur le papier.

nuq-et-pingouin-de-baptistine-mesangeNuq et Pingouin est une histoire d’amitié, une vraie, avec des joyeuses petites larmes au coin des yeux et un sourire à la fin. Les illustrations de Sandrine Lamour apportent une dimension très enfantine au texte, qui lui, s’adresse aux petits comme aux grands… Peut-être pour montrer que l’amitié est une histoire qui commence quand on est tout petit et dure toute la vie, si l’on y croit au moins un peu. Le mois dernier est sorti chez la jolie loiseau-lenfant-et-le-chat_6980maison d’édition Pour Penser à l’Endroit L’oiseau, l’enfant et le chat. C’est mon livre tout à moi comme j’aime le dire, j’ai écrit l’histoire et je l’ai illustrée. Mais aussi, parce que c’est une histoire vraie, je crois… Cette petite fille qui soigne un oiseau blessé et le regarde s’envoler très haut, avec une émotion au bord des yeux, je la connais très bien…

Et puis, il y a Souvenirs de papier. C’est un morceau de moi. Un bout de la mélancolie qui m’habite depuis toujours… Etre un enfant, c’est aussi grandir, tout au long de la vie. L’album, illustré par Jessica Lisse qui redonne leurs couleurs aux souvenirs, évoque le passage de l’enfance au monde adulte avec une nostalgie que je n’ai pas su retenir… Je suis très heureuse qu’il vive sa vie de livre dans la maison d’édition Philomèle dont j’apprécie beaucoup la ligne éditoriale.

souvenirdepapierQuand j’ai un projet d’album, j’avoue ne pas penser à la maison d’édition qui pourrait l’accueillir… D’abord, je veux qu’il existe. Parce que c’est une part de moi-même qui s’en va toquer aux portes. Si au début, je trouvais plaisant d’écrire sur des thèmes ou des sujets « parce que ça pourrait plaire »… plus maintenant. Parce que je tiens vraiment à ce que chacun de mes livres soit un bout de ma propre histoire. Je veux ressentir de l’émotion moi aussi, comme le lecteur. Je trouve qu’il y a une surproduction en littérature jeunesse de nos jours, et c’est vraiment dommage. Je ne crois pas en faire partie, et ça me rassure.

LJ83 : Y a-t-il des contes ou textes classiques que tu aurais envie d’illustrer ?

BM : J’aime les contes dans leur version originale et je rêverais de poser mes illustrations sur un texte classique, oui. Mais j’aimerais que mon univers apporte quelque chose, que je m’y retrouve aussi…. Le petit chaperon rouge est le conte que je préfère, pour ce qu’il est. Mais je crois que je n’y apporterais rien… Je me sens plus proche de Poucette, La petite fille aux allumettes ou Le petit soldat de plomb. Il y a dans chacun de ces contes une part d’enfance qui me touche, des émotions que j’aimerais dessiner et transmettre à ma manière… J’ai d’ailleurs fait une illustration de Poucette soignant l’hirondelle car c’est un passage du conte que j’aime particulièrement…

Mais ça reste une tâche très délicate… et aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir avant de penser à cela.

dessinBMLj83 : Comment travailles-tu ? Est-ce que tu as une technique favorite ?

BM : Je crois que je n’ai pas de technique du tout en fait… Je me mets à mon bureau (ou n’importe où aussi…) quand je ressens le moment de mettre en mots ou en images tout ce qu’il y a dans ma tête. Je ne me force jamais. Je laisse venir l’inspiration de toutes les petites choses qui m’entourent..

Je préfère oublier les plannings que je ne respecterai pas… Je n’ai jamais fait de plan de texte ou de recherches… je laisse s’écrire l’histoire pendant un certain temps, plus ou moins long, et je la pose ensuite sur le papier. En dessin, c’est un peu pareil. J’ai un carnet de croquis et beaucoup de feuilles volantes, et avant de commencer un dessin, je gribouille un peu. Mais je ne passe pas obligatoirement par les recherches de personnages, les croquis détaillés ou les chemins de fer (pour un album)… Je n’obéis pas à un rythme de travail. Je peux ne rien écrire pendant des mois, comme dessiner des nuits entières sans dormir…

Lj83 : Pour nous familiariser un peu plus à ton univers, pourrais-tu nous dire quels ont été tes coups de cœur déterminants, que ce soit lecture, film, peinture, ou les histoires et les images qui te restent de ton enfance ?

BM : J’étais très curieuse de tout, j’ai toujours aimé voir, lire, toucher, découvrir… mais je ne saurais citer précisément les choses… Je me souviens d’un livre, c’était un album, que j’ai adoré quand j’étais enfant. Il était gris, et c’était une histoire de cadeau. Ce qui m’a marqué, c’est que je le relisais toujours avec espoir de découvrir une nouvelle fin, car rien, ni l’image ni les mots, ne dévoilaient au petit lecteur que j’étais, ce qu’il y avait dans ce paquet. Alors, j’imaginais… et je le relisais encore. Et c’est ça que j’aimais, je crois… et que j’aime toujours dans les livres. Ce qu’il nous reste, une fois qu’on les referme. Aujourd’hui, je rêve de retrouver ce livre, au hasard d’un marché, d’une brocante ou n’importe où… je le reconnaitrais à la couverture.

Puis, moment clef de mon enfance : un jour, j’ai lu Le Petit Prince, j’avais 7 ans et le livre était à mon grand frère. C’est comme ma philosophie de vie, ma Bible… Et je crois que dans ce que j’écris et dessine, il y a toujours quelque chose du Petit Prince … Quand je suis triste, ou très heureuse, ou un peu les deux … je le relis encore. Chaque lecture est unique… c’est un livre qui me touche, me questionne, me bouleverse et me rassure, à chaque fois que je l’ouvre, c’est pour le redécouvrir. S’il ne devait exister qu’un seul livre au monde, ce serait celui-là.

Lj83 : Et maintenant que tu es grande (on peut dire ça ou pas ???), quels sont les créateurs que tu admires le plus et qui pourraient avoir de l’influence sur ton travail ?

BM : hihi…quand je serai grande…? peut-être que je n’aurai plus envie de dessiner ou d’écrire… ! et je pense que ce sera aussi triste que je l’imagine… Oui, j’ai grandi, je ne peux pas dire le contraire, ce serait mentir! Car je suis un peu plus haute que quand j’avais 5 ans … mais mon cœur d’enfant est toujours là, au moins la moitié…et ça suffit pour faire tout ce que je veux dans « ma vie de grande ».

Une vraie grande que j’admire, parce qu’elle est un poème à elle-même, c’est Anne Herbauts. J’aime aussi les univers de Nathalie Choux, Manon Gauthier et Mélanie Rutten. Leurs créations sont poétiques et douces, il y a beaucoup de sensibilité. J’aime la part d’enfance qui s’y trouve, je me sens proche de leurs personnages et des histoires qu’ils racontent.

Lj83 : Et maintenant, Baptistine, quels sont tes projets ?

BM : Oh, j’en ai plein je crois… et ça prendra du temps. J’ai commencé à écrire un petit roman sur un sujet qui me touche particulièrement, j’aimerais le finir. Et puis, j’ai pris goût à exposer mes dessins, alors j’aimerais beaucoup continuer à le faire. J’ai aussi pensé habiller des petits riens de mes dessins, comme des coussins.. ça me plairait beaucoup. Sinon, j’ai commencé à envoyer quelques dessins aux éditeurs… et j’avoue avoir très envie que l’un d’eux me confie un texte d’auteur pour que je l’illustre… un texte qui correspondrait vraiment à mon univers.

Je vais aussi aller à la rencontre des lecteurs dans des petits salons de ma région où j’aime beaucoup me rendre. J’aimerais aussi continuer à faire des interventions autour de mes livres ainsi que des ateliers avec les enfants dans les médiathèques ou les écoles. D’ailleurs, je vais clore l’année scolaire, par la fabrication d’ un livre avec une classe de CLIS comme quand j’étais petite : avec du papier, de la ficelle et du carton. Mais ce sont eux les petits, et ce sera leur histoire, ils sont très enthousiastes et moi je suis ravie…

Et aussi, j’aime la musique… j’ai commencé à apprendre la flûte traversière. Pour finir sur une note artistique…

Lj83 : Merci beaucoup, Baptistine, d’avoir pris le temps de répondre à toutes mes questions et d’avoir partagé avec nous un peu de ton univers. J’espère vraiment avoir donné envie à tout le monde d’ouvrir tes livres et de découvrir tes images.

BM : C’est à moi de dire merci …

Lj83 : Pour conclure, nous pouvons retrouver, découvrir ton travail à la galerie La Fiancée du Pirate  rue Lamalgue à Toulon jusqu’au 23 mai. Et sur ton blog dès à présent.

« J’ai rendez-vous avec… Sébastien Orsini »

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Sébastien Orsini

Sébastien Orsini

Lj83 : Bonjour Sébastien, nous sommes particulièrement heureux de vous  rencontrer aujourd’hui. Depuis que j’ai ouvert « Dans le Mystère des animaux sauvages », je rêve de pouvoir en discuter avec vous. Pourriez-vous nous raconter comment ce remarquable abécédaire a vu le jour ?

Sébastien G. Orsini :  Cet abécédaire s’est construit en plusieurs étapes.

Tout d’abord, j’ai réalisé une première gravure, l’iguane, juste pour me faire plaisir sans but bien précis. Quelques mois plus tard, j’étais alors en dernière année d’étude à l’école Emile Cohl, on nous a demandé de faire cinq illustrations afin de  participer au concours d’illustrateurs de la Foire internationale de Bologne. J’ai repensé à cette gravure et en ai réalisé quatre autres. J’ai eu l’honneur d’être sélectionné parmi les artistes exposés pendant la foire et c’est là-bas que j’ai rencontré Guillaume Berga, directeur artistique chez Actes Sud Junior qui s’est montré très intéressé par mes gravures. Il avait besoin d’en voir un peu plus pour prendre une décision, j’ai donc fait de ce projet un de mes projets de fin d’étude. Quelques mois plus tard et mon diplôme en poche, j’ai rencontré l’équipe éditoriale de chez Actes Sud à Paris avec une douzaine de doubles pages du livre et le projet a été tout de suite accepté. J’ai bénéficié d’une grande confiance et d’une grande liberté de la part de la maison d’édition, ce qui fut très agréable.

 Lj83 : Vous avez utilisé une technique bien particulière, la gravure. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

S O : J’avais déjà expérimenté cette technique à de multiples reprises sans pour autant être très satisfait du résultat. Mais durant mes études, j’ai eu comme professeur Gilbert Houbre qui est illustrateur mais également très bon graveur et passionné par cette technique. Il m’a fait réaliser dans le cadre scolaire des pointes sèches, des monotypes et des linogravures sur le thème du portrait. J’y ai pris beaucoup de plaisir et me suis découvert une véritable passion pour toutes ces techniques. Il y a eu également les magnifiques linogravures d’un ami illustrateur, Michael Crosa, qui m’ont beaucoup donné envie de graver.

 Lj83 : Il existe assez peu d’illustrateurs jeunesse qui utilisent cette technique. Joëlle Jolivet, May Angeli… Certains d’entre eux ont-ils eu de l’influence sur votre travail ?

S O : Je pense qu’à l’heure actuelle, il y peu d’illustrateurs qui utilisent cette technique car elle est fatigante, contraignante et très lente étant composée de très nombreuse étapes. Elle ne se prête donc pas vraiment aux conditions actuelles de l’édition. À titre d’exemple, la réalisation de l’abécédaire m’a pris en tout plus de huit mois. Même si je suis de très près la production actuelle en matière d’illustration jeunesse, à part l’intérêt tout particulier que je porte au travail de Blexbolex et de Lorenzo Mattotti, je dois avouer que dans le cadre de l’abécédaire, j’ai plutôt été influencé par des artistes plus anciens.

Je dirais que mes sources d’inspiration sont plutôt à chercher du côté de Robert Hainard, Rojan, Paul Jouve, Hokusai, Hiroshige, Kono Bairei, les bois de Clément Serveau, la gravure sur bois du début du XXème siècle et beaucoup d’autres choses. J’ai souhaité retrouver une atmosphère de mystère et d’exotisme que m’évoquent les gravures naturalistes du XIXème siècle avec une forte inspiration art déco tout en restant contemporain et actuel.

©Sébastien Orsini

©Sébastien Orsini

Enfin, comme je l’ai dit plus haut, Michael Crosa m’a beaucoup influencé sur ma façon de graver et sur l’utilisation des outils.

Lj83 : Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours d’artiste ?

S O : Mon parcours d’artiste en tant qu’illustrateur n’est pas très long puisque Dans le mystère des animaux sauvages  est mon premier livre.

Avant ça, d’un point de vue « scolaire »,  j’ai suivi une première formation en BTS Arts Appliqués Graphisme / Édition / Publicité et ensuite la formation d’illustrateur / Concepteur de l’école Émile Cohl à Lyon.

D’un point de vue professionnel, hormis quelques illustrations dans des ouvrages collectifs, mes principaux travaux ont été des collaborations avec Joe G. Pinelli en tant que coloriste sur  Bye, Bye, Blackbird  aux éditions BD music et sur  Trouille  chez Rivages Noir / Casterman. Ce fut un grand plaisir de mettre en couleurs les images de Joe qui est un artiste pour qui j’ai la plus grande estime. Il m’a beaucoup appris sur les couleurs et sur la lumière.

©Sébastien Orsini

©Sébastien Orsini

Lj83 : Vous vivez et travaillez actuellement dans le Var. Comment ressentez vous votre environnement professionnel ? Les contacts avec les maisons d’édition, avec des auteurs ou d’autres illustrateurs…

S O : Je dois avouer qu’il n’est pas toujours très facile d’entrer en contact à distance avec les grandes maisons d’éditions, très souvent implantées sur Paris. Il me semble qu’un dossier envoyé par mail n’a pas le même impact qu’une véritable rencontre avec un éditeur ou un directeur artistique. Étant en début de carrière et n’ayant pas encore un « nom » dans la profession, il m’est indispensable de me déplacer soit aux sièges des maisons soit dans les salons et évènements jeunesse.

Lj83 : La Communauté d’agglomération dracénoise a acquis l’ensemble des gravures des Animaux sauvages et leur accrochage permettra à tous de les voir dans les différentes médiathèques de son réseau. A cette occasion, certaines d’entre elles vous ont demandé d’intervenir auprès des groupes d’enfants qui viendront visiter l’exposition. J’aimerais beaucoup que vous nous parliez de ce travail de médiation.

S O : Ce travail d’atelier avec les enfants m’intéresse énormément car il me permet de leur faire découvrir la gravure, technique artistique qui leur est totalement étrangère.

Cette technique si commune à certaines époques et ancêtre de l’imprimerie moderne est aujourd’hui assez rarement utilisée même si, comme vous l’avez signalé auparavant, certains illustrateurs actuels continuent à la pratiquer. J’en profite donc pour montrer aux enfants comment elle a évolué et traversé les millénaires d’histoire de l’art. Mais plus important encore, j’essaie de leur donner goût à la gravure par la pratique.

La gravure se pratiquant habituellement avec des outils tranchants et dangereux, j’ai dû développer, au cours des ateliers, des façons  « sécurisées » pour des élèves de tout âge de réaliser les différentes étapes de la gravure, du dessin jusqu’au tirage sur papier. Cette dernière opération qui consiste à transférer l’image de la plaque gravée sur le papier comme un « tampon » impressionne fortement les enfants. Il est vrai qu’il y a toujours quelque chose d’assez magique lorsque l’on découvre le premier tirage d’une gravure.

Je profite également de ces ateliers pour leur parler de l’art en général, du dessin, de la représentation et pour répondre à toutes leurs questions sur le métier d’illustrateur.

 Lj83 : Ce premier livre est destiné à un public très jeune. S’agit-il d’un goût marqué pour les enfants ou envisagez-vous de travailler pour d’autres publics?

SO : Il est vrai que j’aime particulièrement l’univers des enfants. Il était d’ailleurs prévu dans un premier temps que, dans mon abécédaire, chaque animal soit accompagné d’extraits de commentaires d’enfants, à propos de mes gravures, collectés lors d’ateliers d’écritures en classes de maternelles. J’aime beaucoup leur façon d’appréhender le monde qui les entoure et de le retranscrire.

Je n’ai pas envie pour autant de m’adresser uniquement aux enfants et parmi les projets que je développe actuellement, il y en a certains à destination d’un public jeunesse et d’autres pour adultes.

 Lj83 : Vous avez travaillé seul pour cet abécédaire. Aimeriez-vous travailler sur les textes d’un auteur?

SO: J’ai effectivement réalisé ce livre seul puisque au-delà des illustrations c’est également les mises en pages et tout le travail de typographie que j’ai effectué sur l’ensemble de l’ouvrage car ce projet s’y prêtait bien. J’ai eu très vite une vision globale de la direction et de l’univers de cet abécédaire et mon savoir-faire en graphisme m’a permis de conserver une unité et une cohérence totale au sein du livre. Les lettres étant, elles aussi, des « formes dessinées », ce livre fut pour moi d’un bout à l’autre un jeu de structure, de composition des vides et des pleins, de constructions des formes et des couleurs.

Pour autant tout ce travail n’a  pas été effectué en solitaire mais en dialogue constant avec l’équipe artistique de chez Actes Sud, avec leur soutien et leur expérience bien entendu. Mon amie, illustratrice elle aussi, m’a également beaucoup aidé  à toutes les étapes du livre.

Pour ce qui est de travailler sur des textes d’auteurs, ce devrait être le cas pour certains de mes projets à venir. Le travail d’appropriation et d’adaptation de l’histoire et de l’univers d’un écrivain est pour moi très intéressant et enrichissant.

©Sébastien Orsini

©Sébastien Orsini

 Lj83 : Avant de conclure, que pouvez-vous nous dire de vos projets ?

SO : J’aimerais beaucoup que mes prochains projets jeunesse laisse une très grande place à l’image, et qu’ils me permettent d’expérimenter un maximum de choses. J’ai en tête une quantité de projets très différents les uns des autres qui sont pour moi comme des laboratoires me permettant de « chercher ».

Pour ce qui est des projets à destination d’un public adulte, il s’agira plutôt de BD.

Je travaille actuellement sur l’adaptation d’un polar français, sur trois scénarios personnels très hétéroclites et sur un scénario original qu’un auteur est actuellement en train de m’écrire. L’histoire se déroulera entre les USA et l’Afrique des années 70.

Une fois de plus, il apparaît clairement que je n’aime pas vraiment m’immobiliser trop longtemps dans un seul et même univers.

 Lj83 : Grand merci à vous, Sébastien, d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous attendons avec impatience de découvrir vos nouvelles créations et vous souhaitons des succès à la mesure de votre talent.

S O : Merci infiniment pour vos questions et pour tout l’intérêt que vous portez à mon travail.

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« J’ai rendez-vous avec…Fred Paronuzzi »

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Lj83 : Bonjour Fred

Fred Paronuzzi, « Un cargo pour Berlin » éd Thierry Magnier

Fred Paronuzzi : Bonjour Thierry

Lj83 : Merci d’avoir accepté cette rencontre.

FP : C’est avec plaisir. Toujours agréable d’échanger avec vous sur la littérature.

Lj83 : Vous vivez en Savoie et vous êtes enseignant dans un lycée professionnel, comment est né votre désir, votre besoin d’écriture ?

FP : Ado, je voulais devenir musicien, guitariste de rock pour être précis (celui qui tient la rythmique, pas le soliste, trop frime à mon goût). J’ai tenté, je n’avais pas ce qu’il fallait… Les livres sont entrés alors dans ma vie. Boris Vian. Camus. Baudelaire. Rimbaud… le coup de foudre ! Je suis devenu un grand lecteur (je n’imagine pas un auteur qui ne serait pas, d’abord, un dévoreur de livres). Plus tard, en hypokhâgne, le prof de français (monsieur Carat, je crois) nous a fait étudier En attendant Godot de Beckett, L’homme qui rit de Victor Hugo, Les liaisons dangereuses de Laclos, Voyage au bout de la nuit de Céline… quatre énormes claques ! Des textes essentiels qui ont changé ma conception de la vie. A l’université, j’ai suivi un cursus de français et d’anglais, puis j’ai fait une maîtrise sur Kerouac. Il m’a donné le goût des voyages, m’a fait comprendre qu’il fallait vivre, en priorité, accumuler de l’expérience, du bonheur, de grandes baffes dans la gueule… avant d’espérer écrire quoi que ce soit d’intéressant. De retour en France, j’ai pris la plume, d’abord timidement, puis de plus en plus au fil des années. Mon premier roman est sorti et depuis, j’ai développé une dépendance à l’écriture et il m’est très difficile de passer une journée loin des textes. Ou alors il y a manque, frustration, mal-être…

Lj83 : Comment envoie-t-on son premier manuscrit ? Que se passe-t-il pour qu’un jour vous vous soyez dit : « J’envoie un manuscrit à une maison d’édition » ?

FP : J’ai écrit un premier roman à 25 ans, j’étais à l’armée, je détestais ce milieu, écrire m’a empêché de devenir fou (mais pas de faire du trou, régulièrement). Le manuscrit a été refusé par toutes les maisons d’édition, à juste titre, c’était une grosse daube. A la trentaine, j’ai fini un recueil de nouvelles. Il m’a valu des encouragements d’éditeurs. Puis j’ai fait « 10 ans ¾ », j ‘ai sélectionné 5 éditeurs dont j’aimais bien la ligne éditoriale, j’ai envoyé le texte un lundi, le vendredi le Dilettante le prenait… le bonheur absolu, la réalisation d’un rêve ! 

Lj83 : Comment arrivez vous à conjuguer  vos deux vies professionnelles ?

FP : C’est compliqué. Le métier de prof est très prenant, fatigant. Je gère mon temps du mieux que je peux. J’ai éliminé tout superflu de ma vie (la télévision, par exemple). J’ai la chance de vivre avec quelqu’un qui respecte mon espace de création… c’est essentiel !

Lj83 : Nous vous avons découvert à travers « Un cargo pour Berlin » paru aux éd Thierry Magnier. C’ est votre 1er roman dit pour adolescents. Vous aviez écrit d’autres romans pour les adultes avant. Les adolescents, un public qui vous convient ?

FP : En vérité, je ne pense pas vraiment au lecteur, lorsque j’écris. J’éssaie avant tout de faire de bons livres. Mon premier roman, adulte, a beaucoup été lu dans les écoles et par les jeunes lecteurs. Inversement, mes livres jeunesse sont apprécié des adultes. Proposer mes textes à Thierry Magnier, c’était au départ un désir éditorial. J’apprécie leur ligne éditoriale, la qualité de leur travail, l’exigence de mon éditrice, Soazig Le Bail. Je me sens respecté et cela est essentiel… Jeunesse, vieillesse, ces étiquettes ont peu de sens (même si, vous le savez bien, la littérature jeunesse est victime d’un grand mépris – dû le plus souvent à une ignorance crasse)… Sinon, pour répondre plus précisément à votre question, j’adore les échanges avec le public ado. Il ne triche pas. Certaines rencontres sont inoubliables !

Lj83 : Aimeriez-vous écrire pour un autre public ? Je pense, nottament à l’écriture d’album, un genre tellement marqué dans la littérature de jeunesse.

FP : Oh oui ! Je meurs d’envie, dans le futur, d’écrire des albums pour les plus petits, de collaborer avec des illustrateurs. J’ai quelques projets dans ce sens et j’espère un jour concrétiser ce rêve-là.

Lj83 : Dans « Mon père est américain » toujours chez Thierry Magnier, nous percevons une évolution dans l’écriture. En est-il de même pour vous ?

FP : Je n’en ai pas vraiment conscience. Chaque livre est une nouvelle aventure, un nouveau territoire à explorer. Il faut trouver la « petite musique » unique et personnelle à chaque récit. C’est ce qu’il y a de plus difficile.

Lj83 : Vous écrivez dans un style court, dense et vous avez une manière toute particulière de mettre en valeur les silences. Vous avez un secret ?

FP : Non non, surtout pas de secret ou de recette ! J’ai une approche assez peu intellectuelle de l’écriture, je privilégie l’émotion. Même si, je ne vous le cache pas, je ré-écris énormément. Je fais parfois dix brouillons du même texte ! Je crois beaucoup en la force de la simplicité. Ne pas forcer le trait, surtout, c’est essentiel. Il peut y avoir énormément de force dans peu de mots. (Et merci d’avoir mentionné les silences, ils sont à la base de mon travail. Ne pas vouloir « remplir » à tout prix !)

Lj83 : Dans vos romans la place de thématiques fortes et marquées a beaucoup d’importance. L’humanité, la place de la femme, les migrations…Je pense, aussi, plus particulièrement à la peine de mort dans « « Mon père est américain ». La peine de mort, un sujet, peu ou jamais traité dans un roman contemporain pour adolescent. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Fred Paronuzzi, « Un cargo pour Berlin » éd Thierry Magnier

FP : Je suppose que c’est un sujet compliqué et délicat à traîter pour quelqu’un qui ne serait pas familier avec la société américaine. Pour ma part, j’enseigne l’anglais et j’ai par ailleurs vécu plusieurs années en Amérique du Nord. De même, j’ai longuement correspondu dans un passé proche avec des prisonniers du couloir de la mort. Pas dans le but d’écrire un livre, non, l’idée est née par la suite. J’essayais juste d’apporter un peu de légèreté à des hommes détenus dans des conditions indignes d’un pays dit civilisé. Ce fut pour moi une expérience très forte et très dure aussi, car la mort rodait au détour de chaque lettre…

Lj83 : Nous avons eu la chance et le plaisir de vous rencontrer, dans le Var, vous êtes complétement à l’aise dans les rencontres avec les adolescents. Ces rencontres les considérez-vous comme nécessaires dans le parcours d’un auteur ? Ou sont-elles pour vous qu’une obligation imposée par les règles du marché ?

FP : Ces rencontres sont essentielles. L’écriture est un exercice hautement solitaire et il est nécessaire de se « frotter » au lecteur si on vous en donne l’occasion (ce que vous avez fait et je vous en remercie). J’apprends beaucoup de ces échanges avec les ados. Sans l’énergie qu’ils m’insufflent, je serais incapable de les mettre en scène.

Lj83 : Merci Fred d’avoir répondu à nos questions, merci pour votre bonne humeur, votre enthousiasme et surtout votre talent. Dans l’attente impatiente d’une prochaine parution, je vous laisse le mot de la fin.

FP : Merci à vous ! Sans les bibliothécaires, les documentalistes, les profs et les « vrais » libraires, ceux qui lisent, jamais je ne pourais vivre ces moments inoubliables avec les ados !