Le grand voyage de Mademoiselle Prudence
Ed Flammarion – Les Albums du Père Castor
Il arrive qu’on remarque le travail d’un illustrateur en se disant qu’il manque encore un petit quelque chose dans l’ampleur, la mise en page ou encore un je ne sais quoi. Et puis un jour, enfin, le talent éclate dans un travail parfaitement et incontestablement abouti, une de ces perles rares qui vous transportent et qu’on ne se lasse pas de regarder, contempler, admirer encore et encore, avec l’envie d’offrir et de partager.
C’est avec un grand bonheur, on l’aura compris, que j’ai découvert le dernier album de Charlotte Gastaut, repérée à de nombreuses reprises pour ses illustrations de contes classiques. En lisant sa dédicace à » Prudence, mon hirondelle, ma toute belle « , on se dit que la maternité, décidément, réussit particulièrement bien à nos illustratrices préférées (voir également Emmanuelle Houdart, dans un style très différent et tout aussi talentueux). Cet album-là est une fête, un cadeau qui vous procure une sensation de liberté totale et d’explosion joyeuse.
L’argument de ce voyage est pourtant bien mince : Prudence est dérangée dans ses jeux par les appels de sa mère et, plutôt que d’y répondre, elle s’évade dans un monde imaginaire dont nous découvrons les paysages étranges et merveilleux. Mais ce prétexte permet à son auteure de donner toute la mesure de son talent et il faut reconnaître que son éditeur, en lui offrant ce format ample et ce papier mat de belle épaisseur, lui a permis de l’exprimer au mieux.
Dès la première double page, les mots intrus s’introduisent, en lettres noires et grasses, dans l’espace de Prudence et l’envahissent dans la deuxième, au point de cerner l’enfant en effaçant le décor de la chambre. Consignes, recommandations, réprimandes, avertissements, injonctions, points d’interrogations et d’exclamations… Prudence n’a d’autre défense que de se boucher les oreilles et peut alors s’envoler dans un ciel nuageux dont les astucieuses découpes la font passer dans un monde silencieux, mais foisonnant de couleurs, motifs et détails. Fenêtres, matières, transparences et jeux graphiques, cet univers est d’une richesse exceptionnelle. Il est possible de répertorier toutes les sortes de bestioles qui peuplent la jungle, repérer les petits poissons d’une mare, compter les hirondelles dans le ciel, ou encore retrouver les pages dont sont sorties toutes les créatures qui raccompagnent Prudence dans sa chambre. On peut aussi, tout simplement, se laisser imprégner en silence de la beauté singulière de ces paysages, pour le seul bonheur de la contemplation.
Marie H.