Christophe Léon
Ed Seuil, collection Karactère(s)
En deux courtes nouvelles, Christophe Léon revient sur deux catastrophes industrielles du XXème siècle, qu’il nous décrit en suivant le parcours de ses innocentes victimes.
En 1959, Yukio voit sa famille rejetée par le village après la naissance de sa petite sœur, gravement handicapée. Ce village, situé dans la baie japonaise de Minamata, vit depuis toujours de la pêche. Or, les animaux, puis les enfants, tombent inexplicablement malades. Un jour, les autorités viennent les informer qu’il leur est désormais interdit de vendre et de consommer du poisson. Mais personne ne leur en explique la raison. Bien plus tard, ils apprendront que l’usine de Chiso a déversé des rejets de mercure dans la mer. Réduits à la misère, les habitants du village continueront à se nourrir des produits de la mer, se condamnant ainsi à un inexorable empoisonnement.
En 1998, Gaz, jeune orphelin solitaire, survit comme tant d’autres enfants dans les rues de Bhopal, en Inde. Il a trouvé refuge dans l’ancienne usine maudite, celle qui a laissé échapper un nuage meurtrier quatorze ans plus tôt, causant des centaines de morts. Il y recueille Rasheeda et organise avec elle une nouvelle vie, faite de petites joies et de gros risques, sous la menace constante de la police. En parallèle, nous découvrons comment ses parents ont disparu à sa naissance, pendant la nuit de la catastrophe, et comment son père, qui travaillait alors pour Union Carbide, avait tenté de l’éviter.
Yukio et Gaz nous font vivre les conséquences de ces drames écologiques, dus au cynisme des groupes industriels et à l’incurie des pouvoirs publics. Inconscientes victimes du profit, ces adolescents nous font partager leur quotidien tragique avec l’énergie de la jeunesse, l’espoir chevillé au corps. La grande force de ces nouvelles réside dans les qualités d’une écriture objective, visuelle et nerveuse. Loin de toute complaisante, elle emporte sans effort l’adhésion à ses personnages, et l’absence totale de discours explicatifs donne aux récits valeur de témoignages sans que les ressorts de la fiction soient y soient jamais sacrifiés.
En quatre pages de conclusion, l’auteur rappelle les faits en quelques phrases lapidaires et des chiffres à glacer le sang. En préambule, il écrit des mots simples qui vous vont droit au coeur et je ne résiste pas à l’envie de les faire partager:
« … Je pense sincèrement que la lutte contre les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou engendrées par l’homme, ne doit pas négliger celle contre les injustices sociales. Ce sont toujours les plus faibles qui subissent les premiers les conséquences de nos erreurs. Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Les adolescents de mon livre n’ont pas cette chance. Ils se battent et tentent de survivre avec leurs moyens, même faibles, et c’est pourquoi, me semble-t-il, ils en sont d’autant plus remarquables. »
Comme son précédent roman, Silence, on irradie, cette lecture ne fait pas partie des distractions faciles. Elle est un de ces cris d’alarme salutaires et indispensables, encore trop rares en littérature jeunesse.
A signaler, en complément, l’excellent site animé par Christophe Léon : L’écologithèque, mine d’informations précieuses pour tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de la planète.
Marie H.